La mémé et le colonel

Publié le par Michel


Je m'en vais vous raconter deux histoires qui montrent que dans la vie, il y a avant tout de l'humain.
Lorsque j'étais étudiant en prépa math spé au lycée Kléber de Strasbourg, il y avait une professeure de mathématiques dans la classe d'à côté, surnommée "la mémé", je ne sais trop plus pourquoi, qui avait la réputation d'être très sévère, de tonitruer lors des "colles" (ces petites épreuves orales d'exercice de mathématiques ou de physique qui ont lieu le soir après les cours, souvent jusqu'à 21 heures) et d'engueuler tous les élèves qui n'arrivaient pas à faire leur exercice. Le jeu du hasard  avait voulu que pendant longtemps, j'y avais échappé, mais un soir, le terrible moment est arrivé.
La vie en prépa est une vie d'autant plus difficile qu'il faut beaucoup travailler et que lorsqu'on est interne (ce qui était mon cas) il n'est jamais question de pouvoir commencer à travailler avant 23 heures : les semaines étaient donc rudes, le stress (on n'employait pas encore ce mot) permanent et l'angoisse douloureuse.

C'est donc avec une énorme boule dans l'estomac que je suis rendu à ma "colle" avec la mémé.
C'est l'heure ; je rentre, la mémé me donne l'exercice, j'ai un quart d'heure pour le préparer pendant que l'élève précédent passe.
Un quart d'heure d'enfer : l'élève précédent panique, perd ses moyens et subit les invectives incessantes de la mémé.

C'est mon tour.

Je m'avance vers le tableau. La mémé me regarde, elle ne me connait pas. Elle lit mon nom sur la fiche. Elle relève les yeux. Elle me dit : "Seyller, ça me dit quelque chose. Vous ne seriez pas de Marmoutier ?"
Je lui réponds "Non, je suis de Saverne".
C'est juste à coté.
A partir de là, je ne vous raconte pas la suite car ce fut un enchantement, une délivrance malgré mes ratages. La mémé m'a aidé, m'a conseillé, m'a sauvé.
Que dire sinon que quelquefois la vie vous réserve des surprises et peut-être qu'il faut savoir en apprécier la substance : 30 ans après, tout m'est resté gravé en mémoire. Ca compte.

Quelques années plus tard, je fais mon service militaire (ça existait encore).
Je suis ingénieur diplômé et faire son service militaire à 24 ans ce n'est pas rigolo.
Je fais donc tout pour ne pas me retrouver troufion de base mais surtout rien pour me faire pistonner : pas question, c'est un principe.
Comme je n'ai pas fait de préparation militaire, je  ne peux pas faire les EOR (élèves officiers de réserve) dans l'armée de terre, mais je peux les faire dans l'armée de l'air. Me voici donc volontaire.
Pourquoi choisir cette voie ? Car comme je le dis, autant faire son service de façon confortable et être officier, c'est bien mieux ; chambre à part, repas au mess des officiers, responsabilité donc moins d'ennui. Et puis, cela revient à faire 4 mois de "classe" donc 4 mois actifs.
Seul hic :  c'est pas gagné d'avance car c'est comme un concours :
1 - il faut faire deux mois de classe avec tout le monde ,
2 -  être sélectionné sur des critères intellectuels et sportifs
3 - nombre de places très limitées !
4 - entretien avec un officier supérieur obligatoire pour jauger la motivation

Et à vrai dire, je ne suis pas très sportif à ce moment là. Mon seul remonte-moral : mon prof de gym au lycée m'a toujours dit que j'étais une "force de la nature", ce qui m'a toujours surpris car mes camarades l'étaient bien plus que moi, selon mes critères.
Il faut savoir qu'après deux mois de classe, si l'on est accepté pour faire les deux mois d'EOR, c'est quasiment gagné.

Me voici donc au bout des deux mois de classe. Malgré mes quelques handicaps liésà une masse graisseuse indignes d'un jeune de 24 ans, j'obtiens de bons résultats en sport, sans doute parce que mon prof de gym de lycée avait raison et que le passage "en force" de certaines disciplines sportives m'a sauvé. Pour ce qui est des épreuves dites intellectuelles ça allait aussi. Reste donc l'entretien avec l'officier supérieur, le colonel.

Sur une quarantaine de volontaires pour faire les EOR, seuls 4 seront retenus, autant dire que ce n'est pas gagné d'avance.

C'est mon tour.

j'entre dans le bureau du colonel. Présentation d'usage. Très militaire. "2ème classe Seyller, 1er régiment,... 3ème bataillon, ... nième section, à vos ordres mon colonel". "Repos". Il m'invite à m'asseoir.

"Dites moi, Seyller, c'est bien alsacien n'est-ce pas ?"

Je ne vous raconte pas la suite, vous la connaissez. Il n'y a rien à cacher du caractère salutaire d'être originaire d'une région si particulière. Il y a avant tout des valeurs humaines que chaque individu peut trouver en l'autre et ce jour là, cette entrée en matière m'a suffisamment détendu pour que l'échange entre le colonel et moi soit un échange d'homme à homme, ce qui, lorsqu'on à 24 ans, est une forte preuve de reconnaissance.
J'ai bien sûr fait les EOR dans l'armée de l'air.

Par ces deux exemples, je tenais à montrer que la valeur de la relation humaine ne tient pas à la supériorité de l'un sur l'autre mais à quelques détails qui gomment parfois cette différence.
Souvenons nous en !

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